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Déserts médicaux : ce que le Québec nous apprend

02/06/2025 | Par Sara Trabi
Mis à jour le 13/06/2025
Canada
déserts médicaux
Loi Garot
Québec
Face à l’étendue de ses territoires peu pourvus en médecins, le Québec déploie une série de leviers pour rééquilibrer l’accès aux soins. Plans régionaux d’effectifs médicaux, incitatifs financiers, réforme des formations : la province tente d’inverser la tendance. Mais à quel prix ? Et dans quelle mesure cette politique pourrait-elle inspirer la France ?

En France, la proposition de loi Garot, adoptée par l’Assemblée nationale le 7 mai dernier, prévoit de conditionner l’installation des médecins dans les zones « surdotées » à une autorisation préalable. Une mesure controversée, perçue par de nombreux·se médecins comme une atteinte à la liberté d’installation.

Au Québec, c’est l’État qui décide où un médecin peut exercer et donc régule la répartition des médecins, via les plans régionaux d’effectifs médicaux (PREM). Mis en place en 2004, ces plans définissent chaque année combien de nouvelles·aux médecins de famille, c’est-à-dire les médecins généralistes de ville, peuvent s’installer dans chaque région. Objectif : éviter la surconcentration dans les centres urbains comme Montréal, Québec ou Laval, et mieux desservir les régions rurales ou éloignées.

Pour encourager les installations hors des grands centres, des primes allant jusqu’à plusieurs dizaines de milliers de dollars sont offertes, ainsi qu’un taux de rémunération bonifié jusqu’à 130 % dans certaines zones « prioritaires », c’est-à-dire dans les déserts médicaux québécois.

« D’autres mesures incitatives incluent des primes d’installation, d’éloignement et de rétention pour les régions éloignées et isolées, indique l’Institut de recherche en politiques publiques (IRPP). S’agissant des PREM, entre 2004 et 2015, nous avons observé qu’ils augmentaient de façon marquée la probabilité d’exercer en région périphérique par rapport à Montréal. »

Au-delà des incitatifs financiers, le Québec a aussi misé sur d’autres leviers pour renforcer l’attractivité de ses territoires en manque de médecins. C’est le cas notamment de la décentralisation des formations médicales : l’Université de Sherbrooke forme désormais des étudiant·es directement en région, afin de favoriser leur enracinement local. Le gouvernement a également mis en place un système de bonification des candidatures en médecine pour les étudiant·es issu·es de zones éloignées, dans le but de diversifier les profils et de mieux répondre aux besoins de ces territoires.

Conséquence, le Québec affiche une meilleure répartition des médecins, avec 146 praticien·nes pour 100 000 habitant·es dans les centres urbains et 191 pour 100 000 habitant·es dans les régions éloignées. La province compte ainsi un peu plus de médecins par habitant·e que la France (147/100 000), malgré une densité de population nettement plus faible.

Pourquoi cette particularité ?

Ce n’est pas un seul système de santé publique que le Canada possède mais 12 ! À chaque province son système de santé. 

Entre 1960 et 1972, le Canada se dote d’un régime de santé publique à proprement parler, avec comme jalon majeur le Medical Care Act de 1966, qui établit les fondements d’un système national et d’une assurance maladie universelle. Une démarche bien plus tardive que celle de nombreux pays européens, comme la France, qui ont mis en place dès l’après-guerre en 1945 pour la Sécurité sociale française et son régime général, des dispositifs de santé publique centralisés. 

Le statut des médecins est aussi singulier : tous·tes les médecins canadien·nes, y compris celles et ceux exerçant à l’hôpital, restent sous statut indépendant. Ils/elles facturent leurs actes directement à l’État selon un barème négocié.

Mais le Québec est bien la seule province canadienne à disposer d’un système incitatif pour réguler l’installation géographique des médecins, là où les autres provinces et territoires laissent généralement aux praticien·nes le choix de leur lieu d’exercice.

« Je vis en Colombie-Britannique depuis huit ans et cette province n’a pas de système de contrôle de l’installation des médecins. Conséquence, la difficulté d’accès aux soins en zone rurale est particulièrement forte, beaucoup plus forte que ce qu’on va voir au Québec » affirme Damien Contandriopoulos, chercheur à l’Université de Victoria et expert en santé publique.

Les limites du modèle québécois

Le Québec a su imposer une politique directive assumée, avec des résultats tangibles à court terme, mais le modèle montre déjà quelques limites :  tensions dans les régions surdotées, désaffection des jeunes, et contournement par le privé.

Selon M. Contandriopoulos, les PREM ont permis d’atteindre leurs objectifs initiaux, mais certains dysfonctionnements subsistent et méritent une attention particulière. 

S’ils ont effectivement encouragé l’installation de médecins en zones rurales et très rurales, ils ont des effets pervers dans certaines zones considérées comme déjà bien dotées, comme le centre de Montréal.

« À Montréal, le quartier Côte-des-Neiges compte trois hôpitaux majeurs, tout en étant un quartier très défavorisé. Pourtant, dans les faits, très peu de médecins prennent en charge les patient·es les plus vulnérables du quartier. Comme de nombreux médecins de ville y exercent également à l’hôpital, on considère que l’offre médicale y est déjà abondante et donc peu de jeunes médecins ont le droit de s’y établir. Ce système de régulation de l’offre médicale finit donc par défavoriser certaines populations, notamment les patientèles urbaines défavorisées. » explique M. Contandriopoulos.

En France, une situation comparable peut être observée en Seine-Saint-Denis, alors que le département est situé à seulement quelques kilomètres de Paris. Classé comme ZIP (zone d’intervention prioritaire) par l’Agence Régionale de Santé (ARS), il compte de nombreux hôpitaux. Or la majorité de ses villes sont même étiquetées ZIP+, une catégorie qui reflète la portion la plus touchée par la désertification médicale dans le pays. 

Carte des villes de Seine-saint-Denis considérées comme « déserts médicaux » @ARS

« On voit de plus en plus l’effectif médical pousser vers la médecine de spécialité et moins de médecins généralistes »

L’autre effet pervers des PREM, c’est la désaffection des étudiant·es pour la médecine générale

« Une façon d’éviter de se retrouver en zone très rurale, c’est de choisir de se spécialiser. Un·e néphrologue pédiatrique, il n’y en a qu’en ville. On voit de plus en plus l’effectif médical pousser vers la médecine de spécialité et moins de médecins généralistes » pointe l’expert en santé publique.

Finalement, les PREM pourraient aussi inciter certain·es jeunes médecins québécois·es à privilégier l’exercice dans le secteur privé, au détriment du service public.

« Les restrictions sont tellement intenses que c’est presque impossible de choisir où on veut travailler et avec quelle clientèle on veut travailler » répondait une résidente finissante en médecine générale à Radio Canada en 2024.

Face à cette tendance, le Collège des médecins (l’équivalent québécois de notre Ordre des médecins) a appelé à la « suspension immédiate » de l’expansion du secteur privé en santé. Selon son président, Mauril Gaudreault, le secteur privé n’améliore ni l’accès aux soins ni la maîtrise des coûts du système public. 

Cette prise de position traduit une conscience forte au Québec de la responsabilité collective du corps médical dans la garantie d’un accès équitable aux soins pour toutes et tous. En comparaison, l’Ordre des médecins français s’est historiquement montré beaucoup plus réticent à toute régulation de l’installation des praticien·nes, notamment contre la loi Garot qui limite la liberté d’installation.

Le Collège québécois apparaît ainsi comme un acteur plus engagé dans la défense de l’intérêt général, en assumant un rôle actif dans la régulation du territoire médical, même si cela implique de limiter certaines libertés individuelles traditionnellement défendues par la profession.

Alors quelle transposabilité en France ?

La France pourrait-elle s’inspirer des mécanismes employés au Québec ? Pour M. Contandriopoulos, certaines des initiatives québécoises gagneraient à être testées en France :

« Le modèle idéal serait une conciliation entre de l’incitation financière, un peu de contrainte et du soutien. »

Pour le moment, les études et rapports publiés (CIRANO, IRPP) au sujet du système de santé québécois saluent l’efficacité des quotas imposés par les PREM et des incitatifs financiers (bourses d’études, primes, etc.) tout en soulignant certains effets pervers. L’IRPP avertit notamment que « les avantages financiers associés à la pratique en région éloignée pourraient conduire certains médecins à réduire leur temps de travail par rapport à ceux exerçant dans les régions universitaires ».

Parmi les leviers prometteurs selon M. Contandriopoulos : les stages en milieu rural et la valorisation des candidatures d’étudiant·es issu·es de ces territoires. « Si on favorise l’entrée en faculté de médecine d’étudiant·es qui viennent de zones rurales, il y a beaucoup plus de chances qu’ils aillent s’établir là où ils ont grandi. » ajoute-t-il.

À ce jour, la France reste encore éloignée de ce modèle hybride et de la politique directive adoptée par le Québec.

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