Faire plusieurs pharmacies pour trouver des antibiotiques, antidiabétiques ou anti-inflammatoires. La formule est presque devenue commune et les patient·es, parfois chroniques, sont les premier·es impacté·es. Signe que le stock de certaines molécules est devenu un sujet en France, la France a compté en 2023 cinq fois plus de pharmacies en tension ou pénurie qu’en 2018, tous médicaments confondus. Autre indice important, en 2018, 868 molécules étaient en pénurie ou en crise de stock. Ce chiffre s’élève aujourd’hui à plus de 5 000. « Cette pénurie engendre un vrai risque chez certains bébés », dénonce une pédiatre niçoise.
Dans une émission diffusée le 9 janvier sur France 2, et toujours accessible sur la plateforme france.tv, Cash Investigation s’est penché sur ce phénomène qui se développe au-delà de la France dans toute l’Union européenne. Et selon les sondages réalisés par l’émission, qui a interrogé plusieurs milliers d’officines, 47% d’entre elles affirmaient courant 2023 ne plus avoir d’amoxicilline en stock, craignant alors un « désastre sanitaire », et plus de 70% évoquaient des tensions de stocks pour au moins un produit pharmaceutique.
Lorsqu’il s’agit de parler de pénurie, les représentant·es de laboratoires sont unanimes : en France, la Sécurité sociale ne paie pas assez cher les médicaments, alors il est plus profitable aux laboratoires de livrer en priorité les pays voisins, plus généreux. Mais en réalité, même si la France paie en effet moins certaines molécules que d’autres pays voisins, ces derniers sont loin d’être à l’abri de la pénurie. C’est par exemple le cas de l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne et le Royaume-Uni. Et là-bas, l’argument est le même : les systèmes de santé locaux ne paient pas assez cher.
Les négligences des laboratoires
Courant septembre 2023, la France a alors décidé de prendre au mot les industriels. Contre une augmentation de 10% du prix des boîtes d’amoxicilline payés par la Sécurité sociale, les laboratoires signataires s’étaient engagés à livrer un certain stock de médicaments. Mais selon le ministère de la Santé, huit laboratoires parmi les onze signataires n’avaient pas tenu leurs engagements. Et seuls 2,8 des 5,4 millions d’euros du coût des 10% d’augmentation seront remboursés par ces mêmes laboratoires. « On a testé. Et l’augmentation du prix n’a pas permis de disposer de suffisamment de médicaments », explique face à la journaliste Élise Lucet Gregory Emery, directeur général de la santé.
L’équipe de Cash Investigation est ainsi allée chercher plus loin pour tenter de trouver les causes de ces pénuries. Et a découvert que l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), malgré ses tentatives, peinait à tracer la production. Pire encore, le laboratoire GSK, selon les éléments de Cash, jette 10 à 15% de sa production destinée à ses clients japonais dans la dernière usine français d’amoxicilline pour des défauts esthétiques à peine visibles sur le contenant, et ne le propose pas au marché français pourtant en crise. « Les laboratoires parlent du prix mais ce qu’ils savent bien c’est que le marché français est un marché magnifique », car immédiatement solvable.
Autre phénomène faisant partie des causes de la pénurie, selon les enquêteur·ices de Cash Investigation : le surstock de certain·es pharmacien·nes d’officine. Pour y remédier, en 2023, le ministère de la Santé et les organisations représentatives des pharmacien·nes ont signé une charte s’engageant à ne pas surstocker, pour éviter que les pharmacies de grandes soient avantagées face aux petites pharmacies rurales.
Des dispositifs loin d’être suffisants pour améliorer la disponibilité des médicaments en France, tant le marché s’est développé ces dernières années sans que la production ne soit en mesure de suivre. Pour Agnès Buzyn, ministre de la Santé de 2017 à 2019, il n’y a « aucune chance » pour que les tensions d’approvisionnement et pénuries en tous genres disparaissent dans les années à venir.
Pour aller plus loin :