« On est face à un vrai retour en arrière dans la lutte contre le sida » analyse, craintif, Leo Deniau. Le coordinateur du plaidoyer international à AIDES, association française de lutte contre le sida, accuse le coup après l’adoption d’un nouveau budget par les parlementaires début février.
Car une disposition, pas du tout du goût de l’association comme de la coalition internationale de lutte contre le sida – cosignataires d’un communiqué sur le sujet – s’y est glissée. Alors que les recettes des taxes sur les billets d’avion étaient depuis leur création par Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy en 2006 et 2012 légalement fléchées vers l’aide au développement, et en particulier l’aide à la lutte contre le sida dans les pays en développement, les parlementaires les ont intégrées pour les années à suivre au budget de l’État, et dé-sanctuariséees.
« La conséquence, c’est qu’une enveloppe auparavant assurée pour cette cause peut disparaître du jour au lendemain avec cette nouvelle disposition », pointe Léo Deniau. Si le gouvernement s’est engagé à verser à ces missions la même somme que l’année dernière – 738 millions d’euros –, « rien n’est certain pour 2026 », explique le chargé de plaidoyer d’AIDES.
D’autant que le contexte politique est plutôt propice à la remise en cause de ces dispositifs d’aide au développement. En France, les propositions de raboter dans les aides au développement à l’international se multiplient d’année en année et sont exacerbées dans un contexte de course à l’économie dans les comptes publics, jusqu’à ce que le gouvernement actuel ampute d’un tiers l’enveloppe dédiée dans le budget pour 2025. Mais pour les associations, ce calcul serait court-termiste s’agissant de lutte contre des risques épidémiques : aucun pays, y compris occidental, n’en est tout à fait à l’abri.
« Un retour en arrière de plusieurs décennies »
La dé-sanctuarisation de ces fonds est un « net recul » dans la lutte contre le sida, rappelle AIDES, car « ces taxes avaient le mérite, par exemple pour celle sur les transactions financières, d’aider directement les victimes de la mondialisation dérégulée». Car « cette taxe avait été créée après la crise de 2008 », retrace-t-il.
Si cette mesure, que le gouvernement défend en la présentant comme un simple choix administratif inquiète tant les associatifs, c’est que sur le front de la lutte contre le sida en particulier, les fonds manquent cette année. Donald Trump a ainsi mis un coup d’arrêt immédiat, dès début février, à toutes les activités financées par USAID, l’agence d’aide au développement américaine qualifiée d’« organisation criminelle » par Elon Musk, proche de Donald Trump. Le Plan présidentiel d’aide d’urgence à la lutte contre le sida (PEPFAR) a été la première victime de ce décret signé de la main du président américain. Et dans certains pays d’Afrique, les centres de dépistage et de prise en charge des populations séropositives ont dû fermer leurs portes.
« C’est loin d’être anodin, car le fonds américain spécifique à la lutte contre le sida dans le monde représente plus d’argent que le fonds international qui réunit le reste des pays », s’alarme Léo Deniau, d’AIDES. PEPFAR a fourni des traitements antiviraux contre le VIH à 20,6 millions de personnes dans 55 pays. « On commence à nous faire remonter des exemples de grosses difficultés avec ces fonds en moins », dénonce le militant, car si le secrétaire d’État américain Marco Rubio a finalement accordé une dérogation humanitaire au PEPFAR, des associations ont dû fermer des dispensaires, faute de précisions sur ces dérogations.
« Les organisations ne peuvent pas relancer des programmes sans informations claires sur leurs financements », s’alarme le Conseil global pour la santé, loin d’avoir été surprise par la décision. Car en 2020, avant de terminer son premier mandat, Donald Trump avait déjà émis la menace de couper les vivres à la lutte contre le Sida, finalement empêché par le congrès de l’époque. Alors que maintenant que Donald Trump est parvenu à ses fins sur ce sujet, les associations craignent de plus en plus d’entraves dans leur travail sur le terrain, et à terme « un retour en arrière de plusieurs décennies » sur le front de la lutte contre le sida.