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Les centres de santé communautaire : une solution pour lutter contre les déserts médicaux ?

02/06/2025 | Par Rebecca Arondel
Mis à jour le 06/06/2025
Autrement soignant
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déserts médicaux
Inégalités
Face au manque de médecins partout en France, des soignant·es et des habitant·es s’engagent pour créer des centres de santé pas comme les autres. Basés sur le concept de santé communautaire, ces centres pluridisciplinaires pourraient être une réponse efficace à la désertification médicale, dans des territoires où l’accès aux soins est particulièrement difficile.

C’est dans les anciens locaux de la poste de Langon, petite commune en Ille-et-Vilaine, que s’est implanté le premier centre de santé communautaire – ou participatif – en zone rurale, Sentiers en Santé, en 2024. Ici, les habitant·es peuvent voir des médecins, des travailleur·euses sociaux, un·e orthophoniste… ou simplement se rencontrer et discuter autour d’un café. « On est aussi un espace de vie sociale, explique Mathilde Boursier, médecin salariée du centre. L’idée, c’est que les gens puissent créer du lien car l’isolement est à l’origine de beaucoup de difficultés. »

La santé communautaire, c’est une démarche de santé qui associe les habitant·es

Des lieux comme celui-ci, il en existe une douzaine en France, et presque autant de projets en cours de création. Inspirés des centres créés par les Black Panthers aux Etats-Unis et des centres de santé au Québec ou en Belgique, ces centres se basent sur le concept de santé communautaire. Cette approche, qui puise dans la charte d’Ottawa de 1986, vise à agir sur la santé des habitant·es d’un territoire, de manière globale, en identifiant des priorités et des besoins qui leurs sont spécifiques. « La santé communautaire, c’est une démarche de santé qui associe les habitant·es », souligne François-Xavier Schweyer, sociologue de la santé à l’École des hautes études en santé publique (EHESP).

Le village de Langon, en Ille-et-Vilaine, compte 1393 habitant·es. @Erwan Corre

Ainsi, à Langon, un diagnostic communautaire a été établi en amont de l’implantation du centre, afin d’identifier les difficultés des habitant·es. « On a par exemple constaté qu’il y a avait beaucoup de maladies psychiques alors on a monté un groupe d’écoute entre pairs autour de la santé mentale et des addictions », illustre Mathilde Boursier. Ce diagnostic permet aussi de cibler les déterminants de santé, c’est-à-dire les facteurs qui influent sur la santé des personnes (conditions de travail, logement, accès à une alimentation saine, qualité de l’environnement…). Dans cette commune rurale, « on est face à des populations précarisées de différentes manières, avec des niveaux de rémunérations plus faibles que la moyenne, des habitats parfois dégradés, et des difficultés de transport et d’accès aux services publics », résume la médecin.

Ruralité et quartiers populaires en première ligne

A ces obstacles socio-économiques, qui éloignent du soin en même temps qu’ils peuvent favoriser l’émergence de pathologies, s’ajoute le manque cruel de soignant·es, problématique que l’on retrouve aussi dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). À titre d’exemple, les médecins spécialistes y sont en moyenne trois fois moins nombreux·ses que dans le reste de la France. « Malgré tous les dispositifs d’incitation déployés dans les quartiers populaires, il n’y a pas d’installation de professionnel·les de santé, pas de remplacement quand un·e soignant·e cesse son activité », déplore Fabien Maguin, coordinateur au sein du Réseau des centres de santé communautaire. C’est justement dans ces territoires désertés par les soignant·es, où les personnes sont les plus vulnérables, que se sont implantés la plupart des centres de santé communautaires : dans les QPV de Rennes, Marseille, Grenoble, Saint-Denis, Lyon (au centre de santé communautaire Le Jardin, où nous nous sommes rendu·es pour un documentaire à paraître bientôt …) ou bien en ruralité, à Langon, Plounéour-Menez ou La Brillanne.

La Case de Santé est située au cœur du quartier Arnaud Bernard, à Toulouse.

En plus de combler un vide, les centres de santé communautaire, grâce au travail des médiateur·ices en santé, réussissent à ramener vers le soin des personnes en rupture totale.  « Il y a toute une dimension d’aller-vers, pour aller chercher les personnes qui ne passent pas la porte du centre de santé et qui sont quand même dans le quartier, souvent en errance et créer un lien avec elles », détaille Aurélie Rosso, coordinatrice au sein du centre La Case de Santé, situé dans le quartier Arnaud Bernard à Toulouse. Cette démarche permet de rassurer un public qui a développé une méfiance voire une peur vis-à-vis du système de santé,  souvent suite à des discriminations subies au sein de ce système.

Lutter contre les inégalités

Une fois la porte poussée, les centres apportent ensuite des solutions concrètes aux barrières économiques ou sociales qui entravent l’accès aux soins. Par exemple, la Case de Santé dispose d’un pôle santé droits dédié à l’accompagnement médical et socio-juridique des personnes migrantes. « On a accompagné dans le centre une dame qui souffrait d’une maladie chronique et qui était aussi dans une démarche d’accès aux droits. Elle a obtenu son titre de séjour et a pu se réinscrire dans un parcours de soin, avec davantage de possibilités », illustre Aurélie Rosso. Une réponse tangible aux inégalités sociales d’accès aux soins, « plus difficile à proposer pour un médecin libéral, isolé dans son cabinet », remarque Fabien Maguin… et qui peut faire la différence dans des territoires, notamment ruraux, où l’accès à une assistance sociale ou à un·e conseiller·e France Services n’est pas toujours possible.

On propose un cadre où la parole va pouvoir se collectiviser

Parfois, ce sont les habitant·es elles et eux-mêmes qui imaginent des solutions, avec le soutien du centre de santé. Par exemple, à Langon, où « la banque alimentaire la plus proche est située à 25km, à Redon », indique Mathilde Boursier, des bénévoles ont mis en place une navette solidaire, qui relie la ville deux fois par mois, avec l’appui du centre. « On propose un cadre où la parole va pouvoir se collectiviser, où les personnes vont pouvoir agir ensemble face à un problème commun », résume Aurélie Rosso de la Case de Santé.

S’ils permettent de réduire les inégalités sociales et territoriales d’accès aux soins, les centres de santé communautaire sont-ils pour autant un modèle pertinent dans un contexte global de manque de soignants et de désertification médicale ? La question est légitime au regard du nombre d’heures travaillées des soignant·es dans ces structures – souvent inférieures à celles des soignant·es en libéral – ou de la durée des consultations, en moyenne 30 minutes – contre 16 minutes pour un·e médecin en libéral.

“Du temps gagné pour plus tard”

Si les consultations sont aussi longues, c’est parce que « le médecin prend le temps d’expliquer à l’usager·e toutes les molécules, à quoi elles servent et dans quel contexte on prescrit tel ou tel médicament », explique Aurélie Rosso. L’essence même de la santé communautaire consiste en effet à impliquer davantage l’usager·e dans les décisions sur sa santé – et à lui en donner les moyens. Ainsi, dans les centres de santé communautaire, de nombreuses actions sont menées pour démocratiser le discours médical et le rendre accessible : des espaces collectifs en santé sont proposés par les médiateurices, « pour se sentir légitime à poser des questions ou à demander à reformuler quand on ne comprend pas le discours médical, ou pour expliquer aux usager·es le fonctionnement de notre système de santé », précise la coordinatrice à la Case de Santé.

La littératie en santé, c’est aussi déterminant que la démographie médicale

Toutes ces démarches permettent de s’approprier un savoir afin de mieux comprendre comment agir pour sa santé. « A terme, c’est du temps gagné pour plus tard dans le parcours de soin », affirme Aurélie Rosso. Pour Fabien Maguin, coordinateur du réseau des centres de santé communautaire, « la littératie en santé [ndlr : la capacité des personnes à comprendre une information, à l’intégrer et s’en servir pour faire des choix pour leur santé], c’est aussi déterminant que la démographie médicale sur le territoire. »

Ainsi, la meilleure compréhension de sa pathologie ou de son traitement permettrait à long terme une meilleure santé, et un moindre recours aux soins lorsque ce n’est pas nécessaire. Car la démédicalisation fait aussi partie des objectifs des centres de santé communautaire : « on essaie de porter ce discours d’utiliser le médecin que lorsque c’est nécessaire et de se dégager de la dépendance à la prescription », souligne Aurélie Rosso. L’idée, pour Fabien Maguin, est de proposer une autre alternative à la « culture de santé exclusivement biomédicale dont l’essentiel de la réponse est construite par les médecins », là où parfois, une consultation avec un autre professionnel serait plus adaptée. Cette démédicalisation est facilitée dans les centres de santé communautaire par la diversité des professionnel·les du médico-social : infirmier·es, sage-femmes, psychologues, médiateur·ices en santé, travailleur·euses sociaux…

À La Case de Santé, les professionnel·les et les usager·es échangent lors d’ateliers collectifs.

Ainsi, en partant des besoins de la population, en agissant sur les déterminants de santé, en rendant le savoir accessible aux usager·es, et en démédicalisant, le modèle des centres de santé communautaire serait vertueux à long terme sur la santé des usager·es mais aussi vis-à-vis de l’accès aux soins, en libérant du temps médical. Le sociologue François-Xavier Schweyer l’affirme : « les centres de santé communautaire sont très bénéfiques localement et participent, à leur échelle, à la lutte contre les déserts médicaux. »

La solution ou une solution ? 

Faut-il alors en créer davantage ? C’est en tout cas ce que souhaitent Fabien Maguin, Aurélie Rosso, et Mathilde Boursier, tous les trois convaincus de la pertinence de ce modèle, dans tous les territoires. Problème : ils sont encore peu reconnus et peu financés. Actuellement, une partie seulement des centres de santé communautaire sont subventionnés par la sécurité sociale, et – pour l’instant – de manière provisoire, au titre de l’expérimentation SecPa, qui vise à évaluer la pertinence de la démarche en santé participative. Ce n’est pas le cas des centres situés en ruralité, non éligibles au dispositif. « On se finance avec la tarification à l’acte et pour le reste, c’est très précaire, remarque Mathilde Boursier. On complète avec des subventions, des appels à projets, nos aides à l’installation, et en acceptant de se payer pas cher du tout : chez nous tous les salarié·es sont payés 1650€ net par mois. » Autre limite : les centres de santé communautaire peinent parfois à recruter, les étudiant·es en santé étant nombreux·ses à aspirer à une activité libérale.

Ainsi, pour répondre rapidement à la lutte contre les déserts médicaux à l’échelle de la France, il serait plus réaliste pour le sociologue François-Xavier Schweyer d’imaginer, en parallèle des centres de santé communautaire, « de nouvelles formes d’exercices coordonnés, qui seraient complémentaires, et moins engageantes », et qui pourraient « s’inspirer de la démarche en santé participative. » Il conclut : « Ce modèle des centres de santé communautaire peut faire école et montrer la voie à des équipes de santé pluri-professionnelles, qui pourraient par exemple décider de s’associer avec des travailleur·euses sociaux. »

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