Mathieu Bellahsen : « La santé mentale s’inscrit aujourd’hui dans une logique néolibérale »

10/07/2025 | Par Bessma Sikouk
Psychiatrie
Relation patient/soignant
Santé mentale
1 personne sur 4 souffre au cours de sa vie d’un trouble de santé mentale. Le rôle de la psychiatrie est donc central. Mais la santé mentale, Grande Cause Nationale 2025, reste largement délaissée par les politiques publiques. Rencontre avec le psychiatre Mathieu Bellahsen qui milite pour une psychiatrie plus humaine.

C’est en 1952 aux États-Unis que naît la première édition du manuel diagnostique et statistique des maladies mentales (DSM) publié par l’Association américaine de psychiatrie (APA). Cinq éditions plus tard, l’ouvrage est devenu une véritable bible pour les professionnel·les de la santé mentale. 

Récemment, la Fondation hospitalière a lancé un appel à projet pour la recherche sur la précarité et l’exclusion sociale, dans la continuité de la Grande Cause Nationale de 2025 qu’est la santé mentale. Cet appel à projet vise à mobiliser des équipes de recherche et des acteurs de terrain pour améliorer le repérage, le diagnostic et la prise en charge en lien direct avec les catégories du DSM-5. L’objectif est, notamment, de voir s’il existe des limites aux critères diagnostiques du DSM.

De fait, outre ses liens avec l’industrie pharmaceutique, le DSM présente de nombreux écueils, notamment vis-à-vis de la prise en compte de l’histoire des patient·es et de leur environnement socio-économique. Une dimension qu’il est nécessaire d’intégrer au diagnostic, selon le psychiatre Mathieu Bellahsen, auteur de Abolir la contention (Libertalia,2023) et La Santé mentale : vers un bonheur sous contrôle, et pourtant absente du DSM. On en discute avec lui dans l’entretien qui suit.

La Fabrique des Soignants : ​​Dans le domaine de la psychiatrie, le DSM constitue l’ouvrage de référence de diagnostic des troubles de santé mentale. Vous appuyez-vous sur cet outil dans votre pratique clinique, ou bien vous faites partie de professionnel·les qui choisissent de s’en passer complètement, considérant qu’il ne satisfait pas aux besoins des patient·es en situation de souffrance psychique ? 

Mathieu Bellahsen : Je ne m’en sers jamais, parce que ce n’est pas pour le bien des patient·es. Dans un certain nombre de lieux, il faut poser des diagnostics, à la fois dans le but d’avoir des statistiques épidémiologiques et puis pour obtenir des financements accordés en fonction des diagnostics. Il s’agit d’outils médico-économiques.

Ces outils qui sont présentés comme étant des outils de bonne gestion sont en réalité des outils de contrôle. A l’origine, le DSM a été élaboré par les assurances aux Etats-Unis pour savoir quel remboursement faire correspondre à quel diagnostic. Le DSM est écrit par l’Association de psychiatrie américaine (APA) et jamais ne sont évoqués les conflits d’intérêt des rédacteur·ices du DSM.

Il est devenu en plus d’un outil épidémiologique un outil clinique qui nuit à la pensée clinique, c’est-à-dire que maintenant les jeunes soignant·es raisonnent avec ces catégories-là. Elles sont par conséquent naturalisées et essentialisées. Avec une perte de complexité et un glissement vers le protocole au détriment de la singularité des patient·es et de la réflexion des clinicien·nes. 

On remarque qu’au fil des rééditions du DSM, de plus en plus de maladies sont ajoutées. Quelles autres évolutions particulièrement notables avez-vous pu constater ? 

Avec les différentes versions du DSM, on note en effet une logique extensive répondant entre autres à une demande sociétale qui est de psychologiser et de psychiatriser les souffrances humaines et sociales. De ce penchant-là de médicalisation, le DSM est à la fois le symptôme et l’instrument, le moteur. 

Le DSM se présente comme un outil athéorique et anhistorique, ce qui donne une pensée de découpage. Par exemple, quelqu’un·e de déprimé·e ne l’est pas par essence et va présenter des mécanismes de défense qui sont des conséquences de cette dépression. La personne va être anxieuse, et pour masquer son angoisse va avoir recours à des produits addictifs. Et comme elle est déprimée et qu’elle rumine la nuit, elle va avoir des insomnies. Donc on va pouvoir dire que la personne a un trouble anxieux, un trouble du sommeil, un trouble dépressif et une addiction. Ça fait quatre troubles et en face, quatre médicaments. 

« La pensée par symptômes a pour conséquence qu’on répond surtout par des médicaments »

Cette pensée-là par symptômes a pour conséquence qu’on ne parle plus de l’histoire de vie des patient·es et de ce qui les a rendu·es comme ça, on répond surtout par des médicaments. Par ailleurs, il y a une inflation du nombre de troubles répertoriés. Par exemple la timidité : quelqu’un·e de timide peut désormais être mis·e dans la catégorie d’inhibition pathologique. Le deuil peut également être qualifié de pathologique au bout d’un temps très court. La construction des seuils fait rentrer de plus en plus de gens dans ces catégories (du DSM, NdlR). Dans les étiquettes diagnostiques, par exemple, on note l’augmentation des troubles du neurodéveloppement, des troubles du spectre autistique, etc. 

Il y a une diminution des seuils et de ce qu’on considère comme relevant d’un trouble. Avec cette logique on a à la fois plus de gens qui vont avoir un même trouble et aussi plus de troubles. Tout ça va occulter les problématiques sociopolitiques.

Pourquoi peut-on dire, comme on a pu l’entendre chez Michel Minard dans son ouvrage Le DSM-roi ou chez la sociologue des sciences Brigitte Chamak dans Les classifications en pédopsychiatrie : controverses et conflits d’intérêts, que le DSM empêche d’avoir une approche de la vie globale des personnes en tenant compte de leur histoire de vie ? 

C’est le cas de la question de la pauvreté, qu’on ne va voir que comme un facteur environnemental, or, il a des conséquences sur l’état psychique de la personne. Addiction, anxiété, dépression etc. Et puis peut-être qu’il y a un syndrome de stress post-traumatique mais avec le DSM on ne va pas aller plus loin. En revanche, avec une pensée unifiée, on peut savoir qu’en réalité la personne quand elle était petite a été incestée. 

Ce traumatisme s’est comme enkysté et a entraîné un certain nombre de comportements compliqués à l’adolescence qui ont exclu la personne. Et après c’est la dégringolade. Cette façon d’appréhender les soins en psychiatrie permet d’avoir une pensée par rapport à ce qui arrive à la personne. Le DSM se fiche de penser à ce qui arrive dans l’existence de la personne et comment on y remédie autrement que par des médicaments et des thérapies de court terme.

Finalement, avec le DSM, on a un paradigme neurobiologique des troubles psychiques comme s’ils ne concernaient que la chimie du cerveau. Les problématiques socio-économiques sont totalement occultées. Qu’en pensez-vous ?

Oui, c’est ce qu’on appelle le modèle biomédical qui a pris le dessus sur d’autres modèles. L’épistémologie biomédicale impose son hégémonie. François Gonon, neurobiologiste, vient de sortir un livre qui s’appelle Les neurosciences, un discours néolibéral (Champs social,2025). En fait, le paradigme sous-jacent, c’est quand même un paradigme économique, utilitariste, ce qui va bien d’ailleurs avec la société nord-américaine et les pays occidentaux. C’est-à-dire qu’il faut être utile à la société, à son développement économique. 

C’est ce que j’appelle la cérébrologie : presque toute la psychiatrie sur le cerveau est devenue le lieu d’intervention des politiques publiques. Avec ce courant, on explique que les gens ont un problème dans leur cerveau et non pas avec leur milieu, ou même que les institutions ont un problème avec eux. Par exemple, le nombre de personnes TDAH (trouble de l’attention avec hyperactivité) était bien moindre à aujourd’hui quand j’étais interne, il n’existait même quasiment pas. Il était diagnostiqué autrement, c’est-à-dire que dans le cas d’un enfant, cette hyperactivité était considérée comme un symptôme en général, avec des facteurs environnementaux qui expliquaient des difficultés d’ordre varié et plurifactorielles. L’institution scolaire avait un moindre recours à cette individualisation pathologisante.

Aujourd’hui, ce qui est dit, alors que ce n’est pas démontré, comme le rappelle Gonon, c’est que le TDAH est un problème neurodéveloppemental, donc un problème du cerveau, et en face c’est la ritaline, une amphétamine qui va répondre au problème. Avec ce mode de raisonnement, on vend beaucoup plus de médicaments, mais surtout, la société, les institutions, sont de moins en moins conciliantes avec les individus qui sortent de la norme. Les institutions sont aussi de moins en moins aptes à se remettre en question.

« Dans un milieu prévenant, sain, qui prend le temps, on n’a pas besoin de pathologiser »

Un enfant qui est dans une classe surchargée avec des profs qui ne sont pas là parce qu’elles et eux-mêmes sont en burn-out, parce que l’éducation nationale est défoncée par les politiques publiques néolibérales, dans l’école, et qui a des  difficultés propres, aura du mal à rester en place, et posera souci. À l’inverse, dans un milieu prévenant, sain, qui prend le temps, n’est pas trop dans le productivisme scolaire, on peut s’en occuper, on n’a pas besoin de le pathologiser. 

J’ai plusieurs enfants comme patients et ce sont l’école, les directeur·ices, les maître·sses et les profs qui disent que cet enfant est hyperactif, qu’il faut lui donner de la ritaline. Ce sont elles et eux qui deviennent les prescripteur·ices. Conséquence : on ne parle pas du fond du problème. Le fond du problème c’est que l’institution scolaire est en déshérence totale, qu’il y a une surpression mise sur les enfants dès le plus jeune âge. 

Parcoursup ou Mon Master [plateformes d’admission en études supérieures, ndlr] : ces algorithmes font peser un stress énorme sur les adolescent·es. En parallèle, il y a une défense totale des institutions publiques et des services publics. Et là-dessus, pour ne pas remettre en question tout le système, on l’individualise sur la personne, en l’occurrence l’adolescent·e, et on va dire qu’il/elle est hyperactif·ve. Les jeunes ont alors cette étiquette qui leur permet ensuite d’expliquer leur mal-être. Ils/elles se reconnaissent là-dedans et le diagnostic devient auto-performatif.

Mais on risque d’avoir une épidémie d’addiction et de troubles avec ces dérivés amphétaminiques [comme la ritaline, ndlr] dans les années à venir parce qu’on habitue les enfants dès le plus jeune âge à être dépendants de produits. Dans vingt voire trente ans, on aura des épidémies d’addictions et le discours sera qu’ils / elles avaient un TDAH et sont donc tombé·es dans l’addiction. On ne dira pas que c’est parce qu’ils/elles ont pris des dérivés amphétaminiques dès le plus jeune âge qui leur a fait passer l’idée que, subjectivement, sans médicament, ils ne valent pas grand chose. Et encore une fois, ce sera le DSM qui permettra de renverser ça. Ce n’est pas avec le DSM et cette façon de penser qu’on aide les gens, qu’on les soigne vraiment, individuellement et de manière singulière.

On parle ici de l’école mais ce schéma se retrouve aussi dans le milieu du travail…

Je dis souvent que dans le DSM, il y a bien un trouble qu’on ne retrouve pas, c’est le trouble du management, les management délétères des entreprises qui produisent une souffrance au travail extrême. Alors que dans le DSM on a le burn out par le travail mais on n’a pas les causes à savoir le système néolibéral qui produit une explosion des burn-out. C’est pareil que ce qu’on a dit sur l’école. À partir du moment où les organisations sociales, nos institutions de travail, d’école, d’université sont ultra-compétitives, soi disant performantes, et ont des objectifs déshumanisants, qui ne sont pas faits pour l’humain, celui qui n’arrive pas à s’y adapter, on va le pathologiser. 

Il y a en plus de véritables conflits d’intérêt. Aux États-Unis, il y a des Key Opinion Leaders qui ont tout intérêt, pour avoir les financements des laboratoires et de leurs études, à se positionner. Et pour les laboratoires, il y a tout intérêt à créer des nouveaux troubles où il y a des molécules à mettre en face. C’est-à-dire qu’en général, on produit des molécules et on se demande ensuite comment on peut s’en servir. On construit un trouble qui correspond à cette molécule. 

« Il faut prendre conscience que pour tout diagnostic il y a une construction sociale et politique »

Pour d’autres molécules qui existent déjà depuis longtemps, on va trouver d’autres indications en créant d’autres troubles. Tout ça n’est pas très sérieux. Pour reprendre l’exemple du TDAH, il y a un article dans le New York Times intitulé « TDAH, a-t-on eu tort ? ». Dans les années 90, on était à un million de personnes diagnostiquées. Aujourd’hui, on est à dix-neuf millions. 

Il faut prendre conscience que pour tout diagnostic il y a une construction sociale et politique. Ce n’est pas une vérité scientifique absolue. C’est ça qu’il faudrait comprendre mais on n’arrive pas à le faire. Souvent on a une première étude financée pour démontrer un diagnostic, et en fait, on n’a jamais d’études contredisant la première, il y a des biais de confirmation. C’est tout le système qui est vicié. Je renvoie encore à la lecture du livre de Gonon qui est de salubrité publique.

Est-ce que le DSM n’est pas devenu un outil des politiques publiques ?

Dans le livre La santé mentale, paru à La Fabrique en 2014, il y a un chapitre qui s’appelle « Trier, classer, normaliser ». Parce que c’est un outil de tri, de classification, donc de normalisation, puisqu’on va devoir normaliser en fonction d’une norme sociale. Et la norme sociale est construite notamment par les politiques publiques. Il est évident qu’avec la grande cause nationale, la santé mentale est une notion permettant aux politiques publiques de poursuivre une individualisation néolibérale.

Et le DSM s’articule tout à fait avec ça, que ce soit dans les pratiques psy ou dans les pratiques du champ social. Par exemple, par rapport aux risques psychosociaux, on a dit que la santé mentale est l’affaire de tous·tes. Donc les managers dans les entreprises, pour éviter les suicides au travail, doivent repérer les personnes qui mangent seules à la cantine, qui s’isolent, qui deviennent irascibles, etc. En réalité, on les repère pour leur dire qu’elles ne vont  pas bien, qu’en plus leur productivité est en baisse, qu’il faut donc aller consulter. C’est-à-dire que l’objectif n’est pas un objectif humaniste en réalité, c’est dit de façade. L’objectif est vraiment de faire en sorte que les ressources humaines soient disponibles, compétitives et performantes. C’est ça l’enjeu.

C’est pour ces raisons que vous avez indiqué au début de notre entretien que vous n’utilisez pas le DSM. Quelles sont les alternatives qui existent pour repenser une psychiatrie qui va au-delà des diagnostics, des étiquettes et des classifications ?

Il y a plusieurs outils. Moi je suis très influencé par la question de la psychanalyse, la psychodynamique, ces approches-là. C’est-à-dire d’avoir une pensée unifiante des problématiques existentielles qui arrivent à une personne. Je garde toujours en tête que le diagnostic, c’est d’abord et avant tout le diagnostic du/de la thérapeute, du/de la psychiatre. Ce que je construis comme un diagnostic, c’est moi qui dans la relation avec les patient·es fais le diagnostic. Pour moi, un diagnostic n’est jamais vraiment objectif, il est toujours pris dans la relation, et donc subjectif. Par exemple, face à un·e patient·e que vous ne supportez pas parce qu’il/elle vous renvoie à des choses compliquées pour vous, vous allez toujours aggraver le diagnostic, dire qu’il s’agit d’une dépression résistante, d’une schizophrénie, etc. Donc la première chose c’est toujours de garder en tête le cadre subjectif de notre travail.

La deuxième chose c’est de créer les soins. Le diagnostic peut être un levier pour entrer en relation avec la personne et puis pour construire ensemble. En ce moment je m’occupe beaucoup d’étudiant·es. Maintenant, ils/elles arrivent avec leur diagnostic tout près. “Je suis HPI, j’ai un trouble dissociatif d’identité, j’ai un TDAH, je suis dépressif, bipolaire de tel type, etc”. En partant de ce postulat je leur demande ce que ça veut dire pour eux/elles : racontez-moi ce qui vous arrive, qu’est-ce qui vous a rendu ainsi, quelles sont les choses qui vous arrivent dans votre vie actuelle, dans votre milieu de vie social, familial, scolaire, universitaire, de travail, et en quoi il y a quelque chose qui percute en vous ? 

Mais aussi comment ce qui vous arrive est aussi en relation, voire en réaction, à ce qui se passe dans le monde. Il est nécessaire d’avoir une analyse pluridimensionnelle, à la fois de l’individu dans son milieu, de l’individu dans son histoire et dans sa lignée. Un diagnostic qui enferme ne va pas être le lieu d’une émancipation. 

« Ce sont les patient·es les plus graves qu’il faut déstigmatiser, pas seulement celles et ceux qui sont au travail et font des matinales à la radio »

Il est peut être difficile de savoir vers qui aller. Beaucoup de personnes ne font pas la différence entre un·e psychiatre, un·e psychologue, un·e psychanalyste, toutes les thérapies qui existent. Il y a aussi le fait que c’est difficile de trouver aussi le bon ou la bonne professionnel·le de santé avec qui on peut créer une relation thérapeutique. Ca peut aussi être très chronophage, énergivore et très cher. Comment améliorer cet accès aux soins ?

Déjà, en tant que citoyen, je me suis mobilisé pour que les politiques publiques et les services publics ne deviennent pas ce qu’ils sont actuellement. Et il est primordial de créer une psychiatrie de proximité, il faut soigner les gens là où arrivent les catastrophes, dans leur milieu. 

Il faut aussi déstigmatiser. Pas seulement les personnes qui reviennent dans le cadre de la norme, mais aussi déstigmatiser celles qui sont les plus graves, qui délirent à bloc, qui peuvent être dangereuses, qui sentent mauvais, qui sont en errance. Ce sont les patient·es les plus graves qu’il faut déstigmatiser, pas seulement celles et ceux qui sont au travail et font des matinales à la radio. 

C’est très bien que cela soit déstigmatisé, mais cette déstigmatisation pour les classes bourgeoises aisées fait de la surségrégation pour les plus pauvres, les plus exclu·es, fragiles et vulnérables. Je pense déjà que pour améliorer l’accès aux soins, il y a l’accès aux soins psy. Et pour les patient·es psy, il faut également améliorer l’accès aux soins somatiques. Il y a des déserts médicaux partout, les gens ne sont plus soignés correctement.

Qu’est-ce qui a été fait dans les politiques publiques qui ont été prises dernièrement, qui ont justement, pour reprendre vos termes, défoncé le système public ?

Il y a eu la réforme générale des politiques publiques, la RGPP sous Sarkozy, qui a créé des critères de rentabilité dans tous les services publics, donc bien entendu aussi à l’hôpital. En fait, il y a eu un appauvrissement de toute la filière psychiatrique, psychologique, etc…On a bradé d’abord les services publics aux groupes privés, qui ont maintenant la mainmise sur la psychiatrie publique. On ferme des lits dans le public, on les ouvre dans le privé. On ferme des CMP (centres médico-psychologiques) et « en même temps » on ouvre des centres de santé tenus par des multinationales…

On rend les conditions de travail des professionnel·les de santé invivables. On crée des dispositifs où la maltraitance institutionnelle est de plus en plus banalisée et essentialisée. Les délais d’attente, c’est une maltraitance. Un an et demi pour avoir une consultation pour un enfant en CMP (centre médico-psychologique, ndlr), c’est une maltraitance. Dix heures d’attente pour les gens aux urgences, c’est une maltraitance.

« Il s’agit de rendre les soins plus désirables pour les soignant·es »

On s’habitue à la maltraitance et les politiques publiques, qui en ce moment ne sont là que pour s’adapter à la pénurie. Et après on nous fait des campagnes de communication sur le fait de choisir la psychiatrie. De qui se moque-t-on ?

La psychiatrie peut être attirante si on reconnaît la spécificité de son exercice, ce n’est pas une spécialité comme les autres. Il faut arrêter avec les pratiques maltraitantes comme la contention. C’est ce que je raconte dans Abolir la contention. Il faut aussi que les gens qui se démènent pour le droit des patient·es, plutôt que d’être viré·es des hôpitaux ou mis·es de côté, puissent réorganiser la psychiatrie avec les patient·es. Il s’agit de rendre les soins plus désirables pour les soignant·es. 

Et pour les patient·es, il faut aussi rendre les soins plus adaptés à leurs besoins. Beaucoup refusent de se faire soigner et à juste titre parce qu’ils ne vont pas parler tout de suite comme on n’a pas le temps pendant les consultations donc on va les blinder de médicaments, ils vont prendre beaucoup de poids, être complètement ralenti·es et camisolé·es chimiquement. Finalement, ces entraves sont d’énormes barrières pour accéder aux soins.

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