566 000 en 2023 contre 466 000 en 2019. Le nombre de passages aux urgences pour motif psychiatrique a augmenté de 21% en quatre ans. Pourtant, même si l’éphémère Premier ministre Michel Barnier comptait en faire sa “priorité nationale”, le sujet n’est devenu une priorité ni dans les débats, ni dans les financements.
Alors deux parlementaires, Nicole Dubré-Chirat (Renaissance) et Sandrine Rousseau Les Ecologistes – NFP) se sont lancées en 2024 dans la création d’une mission d’information parlementaire sur “la prise en charge des urgences psychiatriques”, dont le rapport a été rendu public fin 2024. Chose assez rare pour être soulignée, le rapport a été adopté à l’unanimité de la commission des affaires sociales, tant la situation est grave.
Car de parole de soignant·es, la psychiatrie est l’une des spécialités les plus mal en point au sein du système de soins français. Mauvaise image, parmi les spécialités les moins rémunérées pour les médecins, conditions de travail très dégradées… Alors depuis plusieurs années, la spécialité est bonne dernière dans les choix des étudiant.es en médecine, et le nombre de postes vacants est impressionnant. Car près de 40% des postes ouverts à l’hôpital n’étaient pas pourvus en octobre 2024.
Pour les parlementaires, la crise que vivent actuellement les urgences psychiatriques a en partie pour origine la baisse du nombre de places d’hospitalisation à temps plein dans cette spécialité. “La Drees (Direction statistique du ministère de la Santé) montre qu’en France, le capacitaire d’hospitalisation à temps complet en psychiatrie a baissé de 6,1 % entre 2008 et 2019, puis de 4,9 % entre 2019 et 2022. Il a ainsi perdu 4 000 lits entre 2008 et 2019, passant de 65 600 à 61 308 lits, puis de 2 740 lits supplémentaires pour se restreindre à 58 568 lits fin 2022.”, rappelle dans le détail le rapport, salué par l’ensemble des organisations représentatives de professionnel·les et d’usager·es de la psychiatrie.
“Système complexe”
En résumé, “le système de soins psychiatrique français a donc connu une perte nette de près de 7 000 places (6 741) de temps complet en quinze ans”, s’alarment les parlementaires. Et la situation empire, puisque les chiffres de la Drees montre que la baisse du capacitaire s’accélère en psychiatrie en 2023 (-2,4 %, contre -1,7 % en 2022 et -0,9 % en 2021) alors que, pour les autres spécialités, celui-ci décroît à un rythme moins rapide (-1,3 % en 2022 contre -1,8 % en 2022).
Et face à cette baisse drastique des moyens de prise en charge dans les établissements publics, le privé va dans le sens inverse. Même si le secteur est le plus rentable pour les établissements privés lucratifs, (8,7 % de résultat net contre 2,8 % en clinique de médecine), les ouvertures de place n’ont pas compensé les fermetures dans le public.
Pour les parlementaires auteurs du rapport, la prise en charge de plus en plus fréquente depuis les urgences serait aussi la cause d’un “système complexe”, “illisible” et aux délais trop importants. “La délimitation entre secteurs n’est pas toujours bien identifiée. Un lieu de résidence situé dans une zone d’interface peut conduire les établissements à décliner toute compétence et donner lieu à des renvois du patient d’un secteur vers l’autre. Les équipes de secteur des grandes villes rencontrées par la mission d’information ont régulièrement fait part de refus de prise en charge pour ce motif”, dénoncent les parlementaires.
“C’est un véritable maquis psychiatrique. Les enjeux de coordination sont démultipliés par la profusion de structures. Une grande partie des patients attendent très longtemps un rendez-vous pour une consultation en centre médico-psychologique et, qui plus est, dans la mauvaise filière”, illustre Ève Bécache, cheffe de service au centre hospitalier Le Vinatier (Bron), auprès des parlementaires chargés de la mission d’information.
La santé mentale : enjeu majeur
Mais ce “système complexe” entraîne aussi, toujours selon les rapporteur·ices, un “renoncement aux soins”, aggravé lorsqu’il s’agit de populations précaires, par l’accessibilité de la prise en charge. Et parmi les précaires, les plus jeunes, dont l’état de santé mentale a beaucoup souffert de la crise du Covid, sont dans une situation inquiétante. Pour Muriel Prudhomme, directrice du service de santé étudiante de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, “beaucoup d’étudiants n’ont pas de mutuelle et beaucoup d’étudiants étrangers n’ont pas même de droits ouverts ni la possibilité de payer une consultation libérale. Le renoncement aux soins est lié pour 40 % à des raisons financières et pour 40 % au manque de temps”.
Autre écueil, selon les parlementaires, le nombre d’hospitalisations forcées pour des troubles psychiatriques et le recours à la contention est en augmentation. Quand, en 2019, 19% des patient·es hospitalisé·es en psychiatrie l’étaient sans consentement, cette part montait à 26% en 2021. Un “usage trop fréquent en dépit des réformes récemment entreprises et de l’objectif de réduction affiché dans la feuille de route nationale « Santé mentale et psychiatrie”, selon les parlementaires.
Pour ne pas arranger le dossier, le système de soin doit dans le même temps maintenant prendre en charge une population sujette à des troubles d’ordre psychologique de plus en plus massive. La tranche d’âge la plus touchée par cette hausse depuis la crise du Covid, les jeunes de 12 à 25 ans, sont 936 000 à avoir bénéficié du remboursement d’un psychotrope en 2023, soit 144 000 de plus qu’en 2019. Pire encore, les passages aux urgences pour des gestes auto-infligés chez des femmes de 10 à 19 ans a augmenté de 133% depuis 2019 et 570% depuis 2007. Chez les plus âgé·es, de 40 à 59 ans, ce sont les prises en charge pour sevrage qui ont bondi de 25 000 séjours entre 2019 et 2023.
Si la situation est loin d’être réglée, les deux députées comptent bien ne pas en rester là. « L’urgence est de pousser le ministère de la Santé à prendre très vite les mesures réglementaires qui s’imposent », explique Sandrine Rousseau. La simplification du parcours de prise en charge, la mobilisation accrue du secteur privé, et la révision du régime d’autorisations d’ouverture de services de psychiatrie devraient alors faire l’objet d’une prochaine proposition de loi.