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Santé des soignant·es : comment changer les choses ?

01/04/2025 | Par Manuel Magrez
Mis à jour le 22/04/2025
Hôpital
Santé des soignants
Santé mentale
Alors que la santé des soignant·es devient, par la force des choses, un sujet important, comment agir concrètement pour la considérer ? Pour en discuter, La Fabrique des Soignants convie Laurence Laignel et Philippe Denormandie, membres du comité scientifique de « People 4 Health ».

Au fur et à mesure que la santé des professionnel·les de santé devient un sujet, les cadres s’interrogent sur les manières de la prendre en considération. Alors comment réussir à baisser le rythme sans raréfier l’offre de soins, réorganiser les services pour que tous·tes les professionnel·les se sentent reconnu·es, passer outre le tabou encore présent ?

Pour répondre à ces questions, La Fabrique des Soignants a réuni deux membres du comité scientifique de « People 4 Health », salon dédié aux professionnel·les de santé organisé les 26 et 27 mars à Paris. La première, Laurence Laignel, est directrice des soins au CHU d’Angers et ancienne infirmière. Le second, Philippe Denormandie, est délégué de la fondation de la Mutuelle nationale hospitalière et co-auteur du rapport sur la santé des professionnel·les de santé remis au ministère de la Santé en octobre 2023.

Pourquoi la santé des soignant·es est-elle longtemps restée tabou ?

Philippe Denormandie : C’est compliqué et multifactoriel. C’est à la fois dû aux soignant·es eux/elles-mêmes. En se disant que « je suis au dessus et quand il y aura un signe je saurai régir » mais aussi parce que « je sais toute la gravité que ça peut représenter donc surtout je ne veux pas savoir », ou encore parce que dans cet environnement professionnel on ne parle pas de ce genre de choses.

Mais l’institution y est aussi pour beaucoup. Par exemple, la médecine du travail est extrêmement défaillante en particulier pour le milieu hospitalier mais aussi pour les libéraux. Sachant qu’on est plutôt dans le curatif quand elle intervient. Et puis c’est aussi un sujet qui n’était pas porté par les instances. On en parlait uniquement dans le cadre des instances obligatoires avec les partenaires sociaux, mais à la direction de l’AP-HP, à la présidence du CME ou comme directeur général adjoint de Korian, je n’ai pas le souvenir qu’on ait passé cinq minutes pour faire le point pour savoir quel est l’état de santé de nos professionnel·les.

Enfin, si l’on regarde la certification HAS [processus de contrôle des établissements de santé] jusqu’à maintenant, il n’y a pas une ligne sur la santé des professionnel·les. C’est un gros paradoxe puisque la littérature montre que quand on est en bonne santé, on soigne mieux, et quand on est en mauvaise santé, cela impacte directement la qualité des soins.

Laurence Laignel : Effectivement, je pense que la mission de l’établissement de santé a été essentiellement centrée sur les patient·es. Il s’est peu intéressé à  la santé des professionnel·les dans l’exercice de leurs fonctions. Je pense que c’était dans l’inconscient collectif. Les patient·es sont celles/ceux qui sont malades, et les professionnel·les, elles/eux, sont forcément en bonne santé. Quand, infirmière en réanimation, j’ai été enceinte,personne n’a adapté l’organisation des soins, alors même qu’il y avait un sacré rythme dans le service. La seule et unique variable d’organisation, c’était la prise en charge des patient·es.

« La mauvaise santé des soignant·es est toujours un sujet tabou »

Ph. D : C’est quand même fou. Je n’ai pas vu un établissement avec des collègues qui pouvaient me dire combien leur coûtait la mauvaise santé de leurs professionnel·les. Aujourd’hui, c’est toujours un sujet tabou. Quand on dit qu’il faudrait faire des actions, on nous répond que ça va coûter du pognon. Mais non : en fait, avoir des professionnel·les de santé en bonne santé, c’est ça qui rapporte de l’argent. C’est quelque chose que l’on sait depuis peu. Plus étonnant encore, ce qui coûte plus cher quand on a des professionnel·les de santé en mauvaise santé, ce n’est pas l’absentéisme, c’est ce qu’on appelle le présentéisme, c’est-à-dire des professionnel·les de santé qui viennent travailler en mauvaise santé. Parce que l’on sait que cela a un impact très direct sur la productivité mais aussi et surtout sur la qualité des soins.

Vous avez co-signé un rapport commandé par le ministère de la Santé. Était-il vraiment attendu ?

Ph. D : Il l’était au début. Quand on a commencé à dire avec mes deux collègues co-auteurs qu’on allait traiter de la santé des professionnel·les de santé, oui, les gens s’y sont intéressés. Quand on a commencé à travailler, à tenir des réunions, quand on a eu les résultats de l’enquête auprès de 50 000 professionnel·les de santé, soignant·es, infirmier·es, médecins, hospitaliers, libéraux, etc. Quand on a regardé la pauvreté de la littérature en matière de travaux sur la santé des professionnel·les, progressivement, on s’est tous·tes dit que maintenant, ce sujet était un vrai sujet, qu’il méritait qu’on le mette en haut de la pile.

La priorité, c’est déjà d’en parler. Osons en parler comme l’a fait le CHU d’Angers, osons en parler dans un établissement, osons en parler dans les équipes, osons en parler dans les CPTS. Oui, on a le droit de parler de notre santé, de dire qu’on ne va pas bien, de prendre un·e collègue qui n’a pas l’air d’aller bien par la main. Parce que, comme le soulignait Laurence Laignel, l’exemple type, c’est effectivement les femmes enceintes. On ne se questionne pas sur leur santé. La question est celle-ci : comment adapter son organisation ?

Les espaces soignants, des lieux refuges mis en place par la Fondation des Hôpitaux

Vous disiez, Laurence Laignel, que ce rapport avait déjà eu des impacts, peut-être des initiatives. Vous avez des exemples sur ce qui a pu se passer ensuite ?

L. L : Alors, effectivement, depuis que le travail a été mis en place, il y a vraiment une attention portée au management des gouvernances hospitalières. Je pense que certaines étaient plus sensibles et cherchaient déjà à réorienter leurs actions. Au CHU d’Angers, par exemple, une directrice est dédiée à la prévention de la santé des professionnel·les et ça s’est fait de manière presque contiguë à la conception du rapport.

Le Covid a été un élément déclencheur, on s’est aperçu que les professionnel·les pouvaient aussi être en situation difficile psychologiquement ou physiquement.

On a décidé de l’intégrer, en mettant par exemple en place un certain nombre d’activités  et des espaces pour que les professionnel·les puissent aller se ressourcer. Donc a été intégré le droit de prendre des moments de respiration qui correspondent aux différent·es professionnel·les et dans lequel ils peuvent se ressourcer psychiquement ou physiquement. Et là, il y a des espaces qui ont été mis en place parce que pour les professionnel·les qui travaillent 12 heures d’affilée avec un rythme soutenu, la demi-heure de repas n’est peut-être pas suffisante.

Aujourd’hui, la parole semble se libérer. Vous disiez que le Covid peut en être l’une des causes. Comment l’expliquez-vous ?

L. L : Il y a à la fois cette étape de crise Covid qui a vraiment fait prendre conscience à chacun·e qu’il y avait un espace de vie privé qui ne pouvait pas être mis de côté, même dans le cadre du travail. Et puis il y a une évolution sociétale avec une génération qui ne pense plus le travail comme étant le centre de de leur action au quotidien. Pour elles et eux, cet équilibre vie privée / vie professionnelle est déjà inscrit dans les comportements individuels et collectifs des jeunes générations.

Et je pense que les deux sont venus converger pour faire prendre conscience à l’ensemble de la collectivité qu’effectivement, on ne peut pas aujourd’hui accompagner des professionnel·les de santé sans penser à leur bien-être physique ou psychologique.

« On ne peut pas aujourd’hui accompagner des professionnel·les de santé sans penser à leur bien-être physique ou psychologique »

Ph. D : J’ajouterais que le sujet de l’attractivité est un sujet majeur. Tout le monde est sous tension. Les établissements ont dû être amenés à  regarder les leviers sur lesquels agir pour l’attractivité. Par ailleurs, on a vu augmenter le nombre d’arrêts maladie et on s’est demandé comment agir là-dessus aussi.

Et puis ce qui ressort de nos travaux, c’est la notion de la violence. On voit ressortir combien la violence de notre secteur, qui est probablement l’un des secteurs les plus concernés, impacte la santé des professionnel·les. La violence explose, de la part des patient·es comme des aidant·es. Et le problème, c’est qu’il manque à l’hôpital de moments de convivialité, des tiers-lieux où se poser, boire un coup ensemble, pleurer dans les bras de quelqu’un pour décharger après des moments de tension. Ce manque peut augmenter les risques d’un autre type de violence, celle qui a lieu entre professionnel·les. La notion de communauté s’est énormément délitée ces dernières années, sans parler du fait qu’on a un turnover beaucoup plus important.

Il y a aussi une violence institutionnelle et managériale, qui concerne aussi les libéraux qui expliquent souvent que les relations qu’ils peuvent avoir compliquées avec leurs instances de tutelle. Et une autre forme de violence est intrinsèque au métier, à la confrontation très régulière des professionnel·les à la mort. Cette violence a un impact très direct sur la santé mentale, et il est encore moins admis de reconnaître qu’elle nous touche.

Que reste-t-il à faire comme travail pour améliorer la situation ? 

L. L : C’est une préoccupation de la ligne managériale médico-soignante. Elle n’est pas conduite de la même manière, mais je travaille en étroite collaboration avec le président de commission médicale d’établissement pour qu’on ait des actions en cohérence. On est très attentifs à créer des temps pour que les équipes travaillent ensemble, s’expriment ensemble autour de situations qui ont été difficiles, ou s’organisent. Car c’est très important, le temps de travail au quotidien en convergence des différent·es professionnel·les, qu’ils soient paramédicaux ou médicaux.

On se rend compte que ce qui ce qui entraîne des interactions négatives avec des impacts sur la santé, c’est aussi cette dissonance cognitive et affective que peuvent ressentir les professionnel·les entre une mission qui leur est confiée, qui est de réparer, aider à remettre sur un niveau d’autonomie un·e patient·e, et le manque de cohérence des organisations et même des discours  autour d’elles/eux,  avec cet objectif.

« Il faut pouvoir proposer de la formation à nos professionnel·les »

Il faut dé-standardiser nos organisations en mettant en place des rythmes de travail mixtes. La possibilité de ne pas toujours travailler sur les mêmes rythmes, les horaires qui peuvent être modulables et la possibilité aussi de pouvoir se ressourcer dans un autre service. Nous, on met en place ce genre d’alternances entre des services qui se ressemblent et où les compétences sont transférables. Ça peut par exemple fonctionner entre un service d’hospitalisation conventionnelle, où les patient·es sont hospitalisé·es 24h sur 24, une hospitalisation de jour ou de semaine. Que les patient·es soient hospitalisé·es juste pour la journée, ou du lundi au vendredi, les rythmes de travail et la charge de travail ne sont pas les mêmes, et le changement peut ressourcer les professionnel·les.

Ces organisations ne sont pas simples à mettre en place, cela oblige à modifier les habitudes, à mettre de la porosité dans les équipes. Mais on se rend compte que les professionnel·les sont plus détendu·es au travail, se reposent, parce qu’effectivement, comme disait M. Denormandie, vivre dans des services de soins où la charge de travail est toujours identique, toujours très importante, avec un rythme de même nature, 365 jours par an, c’est physiquement fatigant.

Je pense que je n’ai jamais vu, depuis 18 ans que je suis directrice des soins, autant d’événements indésirables faisant état de violences en tous genres entre des professionnel·les ou entre des professionnel·les et des soigné·es, qui sont de plus en plus importantes. Il faut pouvoir proposer de la formation à nos professionnel·les pour qu’ils/elles soient moins désarçonné·es par ces situations de violence et apprennent à les gérer.

Est-ce qu’il y a encore des obstacles ? Laurence Laignel parlait, par exemple, de temps de repos qu’on pouvait mettre en place. Est-ce que, pour autant, ce sont des pratiques socialement acceptées ? 

Ph. D : Oui, nous faisons encore face à beaucoup d’obstacles, nous sommes au début de l’aventure. Et puis j’insiste, tant qu’on n’aura pas collectivement, et en particulier pour les décideur·euses à tous les niveaux, conscience du coût de la mauvaise santé des professionnel·les de santé, on ne se donnera pas l’ensemble des moyens pour y arriver. Je reste absolument convaincu qu’il faut rentrer dans une politique beaucoup plus active, mettre en place de la prévention, et qu’il y aura un impact économique et productif au sens fort du terme.

À la Fondation MNH, que je préside, nous avons engagé une dizaine de gros programmes de recherche en partenariat avec la DREES (direction statistique du ministère de la Santé) et l’EHESP (École des hautes études en santé publique) pour que l’on puisse d’ici six mois sortir un guide très opérationnel à l’attention des cadres.

Je pense également que les patient·es ont besoin de se rendre compte, et ça on a un vrai travail à faire, qu’il faut savoir cocooner un peu ses soignant·es. Car pour avoir des soignant·es en bonne santé il faut qu’on sorte de cette logique du stress et de la violence qui est extrêmement importante.

Reprenons l’exemple que vous détailliez plus tôt, de la mise en place de temps de repos. Est-ce qu’il n’y a pas des chances que cela puisse créer d’autres tensions, par exemple des professionnel·les n’acceptant pas qu’une partie de leurs collègues prennent du temps pour elles/eux ?

La. L : En effet aujourd’hui, c’est quand même encore très « service-dépendant » et responsables des services dépendant. On se rend compte d’ailleurs que c’est incroyable tout ce qu’on peut faire quand on a des managers, cadres de santé, cadres supérieurs de santé et directeur·ices des soins qui sont dans une logique commune avec les chef·fes de service et de pôle.

Le rythme, c’est le nerf de la guerre. Quand on travaille en 12h ou en 10h, on a plus de soupapes de décompression dans la journée pour organiser ces temps là que les soignant·es qui travaillent 7h30 dans la journée.

La libération de la parole a commencé mais elle n’est pas encore complètement démocratique et fluide. Et il peut y avoir, bien sûr, cette crainte de dire qu’on ne va pas bien. À mon sens, cela doit faire partie de l’enseignement en formation initiale des professionnel·les de santé. Dans les instituts de formation de professionnel·les de santé, aujourd’hui on parle aux professionnel·les de leur santé, ce qui n’était absolument pas le cas il y a quelques années. C’est une avancée lente mais sûre.

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